Le conflit du Haut Karabagh: L'incapacité du droit international

Le Haut Karabakh, conquis par les Russes sur la Perse en 1805, a été attribué à l’Azerbaïdjan dans le cadre des compromis russo-turcs de 1921. Ce territoire s’étend sur 4.400 km² et compterait 150.000 habitants (76% d’Arméniens en 1989).

La guerre du Haut-Karabagh désigne le conflit armé qui a eu lieu entre février 1988 et mai 1994 dans l’enclave ethnique du Haut-Karabagh, en Azerbaïdjan du sud-ouest, entre les Arméniens de l’enclave, alliés à la république d’Arménie, et la république d’Azerbaïdjan. Le 26 février 1988 défilent à Erevan un million de personnes, revendiquant le rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie. Le parlement de l’enclave, qui vote l’union avec l’Arménie le 20 février 1988, et un référendum accordé à la population déterminent un même souhait. La demande d’union avec l’Arménie, qui s’est développée vers la fin des années 1980, a débuté pacifiquement mais, ensuite, avec la désintégration de l’Union soviétique, le mouvement devient un conflit violent entre les deux groupes ethniques, aboutissant ainsi à des allégations de nettoyage ethnique par les deux camps.

Cette guerre est un des conflits ethniques les plus destructeurs ayant surgi après la décomposition de l’Union soviétique, en termes de nombre de morts et pertes de propriété. La déclaration de sécession de l’Azerbaïdjan est le résultat final d’un « ressentiment éprouvé par les membres de la communauté arménienne du Haut-Karabagh envers les limitations imposées par les autorités soviétiques et azerbaïdjanaises concernant la liberté culturelle et religieuse », mais, plus important, d’un conflit territorial.

De nos jours, le conflit du Haut-Karabagh reste l’un des multiples conflits gelés de l’ex-U.R.S.S., avec, par exemple, celui entre la Géorgie et ses républiques séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, ou celui entre la Moldavie et la Transnistrie. Le Karabakh reste sous le contrôle du gouvernement de la République du Haut-Karabagh, avec sa propre armée, les Forces armées du Haut-Karabagh.

Depuis 1995, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (O.S.C.E.) offre sa médiation aux gouvernements d’Arménie et d’Azerbaïdjan afin de parvenir à une solution acceptable du différend.

Le conflit arméno-azerbaïdjanais a des effets directs et principaux sur l’échec des Protocoles de normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie.

La Turquie, alliée de l’Azerbaïdjan, avait imposé suite à la signature des Protocoles, et comme condition de ratification et de normalisation, que le conflit du Haut-Karabagh soit résolu dans l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan.

Les gouvernements turcs successifs ont justifié la fermeture de la frontière et leur refus d’établir des relations diplomatiques avec l’Arménie en invoquant le conflit du Haut-Karabagh.

Selon l’une des publications diplomatiques turques, « la Turquie n’a pas établi de relations diplomatiques avec l’Arménie du fait de la position arménienne dans le différend arméno-azéri sur le Haut-Karabagh et de l’occupation d’un cinquième du territoire azéri par l’Arménie ».

Le Premier ministre turc Tayyip Erdogan a souligné le 12 octobre 2009 que la question des territoires occupés au Nagorny-Karabakh ou Haut Karabakh « devait être réglée » et que « l’Arménie devait se retirer » de ces zones de l’Azerbaïdjan. « Si cette question est réglée, notre peuple et notre parlement auront une attitude plus positive vis-à-vis de ces accords », a prévenu le dirigeant turc.

Aux yeux des Occidentaux, comme d’ailleurs aux yeux des Russes, ce sont sa position géographique et son pétrole qui donnent à l’Azerbaïdjan toute son importance. Situé sur les rives de la Caspienne, ce pays fournit un accès facile au Kazakhstan et au Turkménistan et, au-delà, au reste de l’Asie centrale.

Les réserves pétrolières connues de l’Azerbaïdjan sont estimées à 1,2 milliards de barils, avec des réserves possibles conséquentes, soit environ un dixième des réserves de la région de la mer Caspienne. Sans en faire un producteur de pétrole de premier ordre, ces ressources sont suffisantes pour constituer un enjeu aux yeux des Etats-Unis et des puissances de la région.

Ankara refuse donc d’ouvrir sa frontière avec l’Arménie et de réviser sa politique à son égard tant que le conflit du Haut-Karabagh ne sera pas réglé et que la souveraineté de l’Azerbaïdjan n’y sera pas rétablie.

L’Arménie, en retour, exigeait que la normalisation des relations et l’ouverture des frontières se fasse sans conditions préalables.

Pour cela, le processus de ratification a été interrompu suite à une décision du Parlement arménien.

D’où on pourra donc déduire clairement les conséquences directes du problème du Haut-Karabagh sur la résolution du conflit turco-arménien. Ce problème qui constitue vraiment un des obstacles majeurs à la normalisation des relations turco-arméniennes. Un dénouement à ce problème pourrait bien être favorable à cette normalisation.

Ne serait-il pas approprié et convenable de confier à la population vivant dans la région du Haut-Karabagh le droit de décider son propre destin, de s’autodéterminer et de disposer elle-même du régime sous lequel elle voudrait être rattachée, par l’intermédiaire d’un référendum international, dirigé par une organisation internationale ?

En droit international, la démocratie est une expression du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’article premier, paragraphe 2, ainsi que l’article 55 de la Charte des Nations Unies, mentionnent le « principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».

De même, l’article premier, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 23 mars 1976, affirme que « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

Dès sa 5e session, l’Assemblée générale de l’O.N.U. a commencé à insister sur « l’importance du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et, en 1954, le Conseil économique et social a décidé qu’il ferait l’objet de l’article 1er de chacun des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme.

Mais l’événement décisif fut l’adoption par l’Assemblée générale, le 14 décembre 1960, de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (résolution 1514 [XV]) dont l’orientation anticolonialiste est évidente.

Le dixième anniversaire de la Déclaration coïncidant avec le vingt-cinquième anniversaire de la Charte des Nations Unies (1970), l’Assemblée générale adopte deux textes fondamentaux : sa résolution 2621 (XXV) établit un « Programme d’action pour l’application intégrale de la Déclaration », et sa résolution 2625 (XXV) « codifie » les sept « principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », parmi lesquels celui de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».

Le droit à l’autodétermination figure dans la liste d’exemples de règles « impératives » fournie par la Commission du droit international dans son rapport sur le droit des traités. La Commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix en Yougoslavie a également qualifié de normes impératives du droit international général les « droits des peuples et des minorités ».

Comme l’a indiqué la C.I.J., il s’agit en tout cas « d’un des principes essentiels du droit international contemporain », « opposable erga omnes ».

En ce qui concerne le contenu du principe de l’autodétermination, il s’agit ici de dégager la signification exacte des notions de peuple et d’autodétermination. Il est du reste extrêmement difficile de séparer les deux termes : comme sujets de droit, les peuples se définissent par les droits et obligations qui leur sont reconnus par le droit international.

Le principe de l’obligation de consulter le peuple colonisé a été affirmé avec vigueur par la C.I.J. dans son avis consultatif de 1975 relatif au Sahara occidental :

« La validité du principe d’autodétermination, défini comme répondant à la nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples, n’est pas diminuée par le fait que, dans certains cas, l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel territoire. Ces exceptions s’expliquent soit par la considération qu’une certaine population ne constituait pas un « peuple » pouvant prétendre à disposer de lui-même, soit par la conviction qu’une consultation eut été sans nécessité aucune en raison de circonstances spéciales ».

La Cour, malgré l’existence de liens historiques entre le Sahara occidental, d’une part, et le Maroc et l’ « ensemble mauritanien », d’autre part, n’a pas considéré que ces liens fussent « de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) quant à la décolonisation [de ce territoire] et, en particulier, l’application du principe d’autodétermination du territoire ». Par plusieurs résolutions, l’Assemblée générale a réaffirmé le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination par l’expression libre et authentique de sa volonté.

Toutefois, dès lors que l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes conduit à l’indépendance, les Nations Unies sont peu exigeantes en ce qui concerne la manière dont la consultation a été effectuée : référendum, vote d’une assemblée représentative, accord des représentants d’un mouvement de libération nationale, voire même sondage.

Citons comme exemple de référendum entrepris dans l’histoire ; celui sur l’autodétermination en Algérie, accepté par le peuple français le 8 janvier 1961, et voté par les électeurs de la métropole, de l’Algérie, mais aussi des DOM, des TOM et du Sahara français qui avaient à décider du sort de l’Algérie française.

Le Haut-Karabagh est une république autoproclamée de Transcaucasie et majoritairement peuplée d’Arméniens. En 1920, l’Azerbaïdjan est soviétisé, et les forces arméniennes se retirent donc de la région en mai, après qu’ils fussent entrés en mars, suite aux massacres commis contre la population arménienne de Chouchi.

Les bolcheviks prennent ensuite le pouvoir en Arménie en novembre 1920 et créent la République socialiste soviétique d’Arménie. En présence de Staline, le bureau caucasien du Comité central du parti bolchevik, auparavant favorable à l’Arménie, décide le rattachement du Haut-Karabagh à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan le 4 juillet 1921. À cette époque, le territoire est peuplé à 94 % d’Arméniens. En 1923 est constitué l’oblast autonome du Haut-Karabagh, séparé de l’Arménie par un « couloir azéri » pourtant peuplé d’Arméniens.

Pendant soixante-dix ans, la situation n’évolue plus jusqu'en 1988 où, profitant de la perestroïka, la région autonome se déclare en sécession le 20 février 1988.

D’après le recensement de 1989 et sur une population de 189 000 habitants (dont 41 000 Azéris), 145 500 Arméniens vivent ainsi au cœur de l’Azerbaïdjan. Le 15 juin 1988, l’Azerbaïdjan revendique le rattachement du Haut-Karabagh à son territoire. Des violences éclatent la même année en Azerbaïdjan comme en Arménie. Des pogroms anti-Arméniens font plusieurs centaines de victimes à Soumgaït puis en 1990 à Bakou.

Le 20 février 1988, le parlement du Haut-Karabagh vote l’union avec l’Arménie, et un référendum accordé à la population détermine un même souhait.

Suite à tout cela, et vu le principe d’autodétermination et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;

Vu que la région du Haut-Karabagh était colonisée par les Soviets et ensuite rattachée par eux à l’Azerbaïdjan ;

Considérant que cette région est peuplée majoritairement d’Arméniens ;

Vu le référendum accordé à la population habitant dans cette région le 20 février 1988 et le vote du parlement et des dirigeants du Soviet régional du Karabakh votants l’unification de la région autonome avec l’Arménie, ainsi que la volonté apparente de cette population majoritairement arménienne de se rattacher à l’Arménie ;

Et prenant appui sur l’article premier, paragraphe 2, et l’article 55 de la Charte des Nations Unies, ainsi que l’article premier, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Vu la nécessité de respecter la volonté du peuple habitant la région du Haut-Karabagh ; ce respect dérivant du principe de l’autodétermination et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;

Et en vue d’éviter de nouvelles conflits et de nouvelles tensions et disputes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ;

Il sera absolument convenable, et comme solution équitable pour le conflit arméno-azerbaïdjanais, de confier aux citoyens vivants dans la région du Haut-Karabagh, le droit de décider eux-mêmes le système politique, les droits et les obligations qui leurs semblent les mieux adaptées, ainsi que l’identité du pays pour lequel ils voudraient être rattachés, et cela par le moyen d’un référendum international qui leur sera soumit, ou même un simple sondage ; et cela sous l’égide et la direction de l’O.N.U.

Rodney Dakessian

Beyrouth le 21-Avril-2014

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