La notion de crime contre l’humanité se retrouve implicitement dans l’article 230 du Traité de Sèvres de 1920 qui obligeait la Turquie « à livrer aux Puissances alliées les personnes réclamées par celles-ci comme responsables des massacres qui, au cours de l’état de guerre, ont été commis sur tout territoire faisant, au 1er août 1914, partie de l’Empire ottoman. »
Le traité de Sèvres, du nom de la ville des Hauts-de-Seine, est conclu le 10 août 1920, peu après la Première Guerre mondiale. C'est un traité de paix entre les Alliés (France, Grande Bretagne, Italie et Grèce) et l'Empire ottoman (le sultan Mehmed VI) sous l'égide de la Société des Nations, qui ne fut jamais ratifié par l'ensemble de ses signataires.
Mais, malgré que ce traité n’est pas entré en vigueur, il demeure qu’il s’agissait d’un crime de droit commun punissable dans tout État et le caractère universel de sa condamnation en droit interne permet d’affirmer qu’il faisait partie des principes généraux du droit (au sens de l’art. 38 § 1, c du Statut de la C.P.J.I. ou de la C.I.J.) applicables à tous les États.
Ce traité consacre le démembrement de l'Empire ottoman. Il est signé par les mandataires du sultan Mehmed VI.
Les articles 62 à 64 prévoient la création d'un « territoire autonome des Kurdes » englobant le sud-est de l'Anatolie. Selon les articles 88 à 94, toute la partie orientale de l'Empire ainsi que les districts de Kars, d'Ardahan et d'Erzurum doivent être érigés en « République indépendante d'Arménie ». La France se voit confier une zone d'influence comprenant la Cilicie, qui s'étendait jusqu'au nord, bien au-delà de Sivas, et l'Italie la ville d’Adana et toute la région avoisinante, ainsi que le Dodécanèse et une zone d'influence allant de Bursa à Kayseri, en passant par Afyonkarahisar. La Grèce obtient de son côté Smyrne et l'ouest de l'Anatolie, la Thrace orientale (qui comprend Andrinople et Gallipoli) jusqu'à la Maritza et les îles. Istanbul, les côtes de la mer de Marmara et les Dardanelles sont démilitarisées. Les détroits sont placés sous le contrôle d'une commission internationale. Le passage devait rester libre en temps de guerre comme en temps de paix. Les provinces arabes sont détachées ; la SDN les confie à la France (Liban et Syrie) et au Royaume-Uni (Irak et Palestine).
Le nouvel Empire ottoman n'est plus qu'un petit territoire de 120 000 kilomètres carrés (en comparaison avec son immensité avant la guerre), composé en majeure partie de terres inexploitables, privé de possibilité de développement à cause d'un système de « garanties » qui viennent s'y superposer. Les finances du pays doivent être administrées par des commissions étrangères. Toutes les ressources du pays doivent être affectées par priorité aux frais d'occupation et au remboursement des indemnités dues aux Alliés (art. 231-266). Des commissions doivent dissoudre intégralement l'armée pour la remplacer par une force de gendarmerie. L'article 261 du traité prévoit le rétablissement des capitulations. Par ailleurs, la police, le système fiscal, les douanes, les eaux et forêts, les écoles privées et publiques doivent être soumis au contrôle permanent des Alliés.
Le traité de Sèvres, et surtout son article 230, consacre tacitement la notion de crime contre l’humanité. On peut conclure que la responsabilité d'un État pour un crime contre l'humanité et spécifiquement pour un crime de génocide et les conséquences découlant de cette responsabilité, existaient en 1915, au moment de la perpétration des massacres, même si le « crime de génocide » n’était pas encore codifié au niveau du droit international positif, mais ses éléments étaient cités sous l’appellation de « crimes contre l’humanité ».
En se référant au volume de l’histoire des Nations Unies pour les crimes de guerre, on peut remarquer que l'article 6 du Statut de la Cour de Nuremberg en 1945 s'est appuyé, dans le contexte de la définition des crimes contre l'humanité dont faisait partie le crime de génocide, sur l'article 230 du traité de Sèvres. Donc c’est une raison de plus que les éléments du crime de génocide existaient en 1915.
Le procès de Nuremberg fut intenté contre 24 des principaux responsables du Troisième Reich, accusés de complot, crime contre la paix, crime de guerre et crime contre l'humanité. Le procès de Nuremberg se tint du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946. Cependant, le Tribunal tient sa séance inaugurale à Berlin, le 18 octobre 1945. Durant cette séance, l’acte d’accusation est remis au Tribunal et aux inculpés. Cet acte dénonçait que ces derniers ont délibérément commis des massacres et un génocide contre des populations civiles, en vue d’exterminer certains groupes raciales, nationales et religieux.
Ce procès se déroula sous la juridiction du Tribunal militaire international de Nuremberg, créé en exécution de l'accord signé le 8 août 1945 par les gouvernements des États-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, de l'Union des républiques socialistes soviétiques et par le gouvernement provisoire de la République française, afin de juger les dirigeants du 3e Reich.
L’une des premières juridictions plurinationales date de 1899, date à laquelle la Cour permanente d'arbitrage est formée : elle existe toujours, mais ne s’est jamais reconnue de compétence pénale.
L’idée d’une juridiction internationale pénale date de la Première Guerre mondiale, et découle des traités qui y ont mis fin :
Le traité de Versailles de 1919 stipule, dans son article 27, la mise en accusation de l’empereur Guillaume II, « pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités ». Il prévoit également qu'un tribunal spécial composé de représentants des États-Unis d’Amérique, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Italie et du Japon soit constitué. L'article 28 demande le jugement des criminels de guerre, mis à disposition par le nouveau Reich qui doit les extrader sur demande.
En son article 230, le traité de Sèvres prévoit l’extradition par l'Empire ottoman des criminels de guerre pour leur jugement par un tribunal international.
Le traité de Sèvres, comme on l’a déjà marqué, n’est pas ratifié ; le traité de Lausanne de 1923, qui le remplace, ne prévoit pas les mêmes dispositions vis-à-vis de la nouvelle république de Turquie.
En 1922, la Cour permanente de justice internationale ouvre ses portes. Pas plus que les précédentes, elle n’a de compétence pénale. Elle est dissoute en 1946, avec la fondation de l’Organisation des Nations unies.
Dès le 17 avril 1940, les gouvernements français, anglais et polonais en exil dénoncent « la persécution des Polonais [et] le traitement atroce infligé à la communauté juive de Pologne ». Le 25 octobre 1941, interrogé sur les buts majeurs de la guerre, Winston Churchill évoque le « châtiment des crimes commis dans les pays occupés par l'Allemagne » et envisage une répression rapide.
Le 13 janvier 1942, des représentants de huit gouvernements en exil, ainsi que ceux du Comité national français (C.N.F.), signent la déclaration du palais de Saint-James, dans laquelle ils expriment leur volonté de juger les criminels de guerre par l’établissement d’une juridiction internationale, en élaborant durant la guerre le cadre des futurs procès. Le 30 octobre 1943, la « Commission des crimes de guerre des Nations unies » a été créée.
Cependant, le Statut du Tribunal militaire international (T.M.I.), définissait les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité :
- Les crimes contre la paix sont « la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre de violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent ». Cette définition précise par la suite que tous les accusés, sans exception, ont participé à un complot destiné à commettre des crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les auteurs exposent ainsi la notion de crimes contre la paix et la notion de complot. Tous les accusés seront inculpés de complot, presque tous de crimes contre la paix. C’est une grande nouveauté : la guerre, considérée jusque là comme la prérogative d'un État souverain, peut désormais être considérée comme un crime en droit international.
- Néanmoins, la définition des crimes de guerre n'a pas changé depuis le début du XXe siècle : il s'agit de violations des lois et coutumes de guerre, dont l'assassinat et les mauvais traitements des populations civiles ou des prisonniers militaires, déportation des populations civiles, l'exécution d’otages, le pillage de biens, la dévastation et la destruction de villes ou villages sans motifs.
- La définition des crimes contre l'humanité n’a été retenue qu’après un examen de quinze versions différentes. La version adoptée comprend dans cette notion :
a) L’assassinat ;
b) L’extermination ;
c) La réduction en esclavage ;
d) La déportation ;
e) Tout acte inhumain commis contre toutes les populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la compétence du tribunal ou en liaison avec ce crime.
Cette définition est partiellement nouvelle : si la notion l’est, alors que la définition s’est appuyée sur le traité de Sèvres de 1920, ainsi que sur les principes généraux du droit interne et du droit international. On peut par conséquence remarquer dans cette définition, l’existence des éléments constituant le crime de génocide.
Cependant, on doit aux Principes de Nuremberg, un document juridique réalisé pendant ce procès, la définition des crimes contre la paix et des crimes contre l'humanité.
La définition du génocide découle directement du procès, même si le mot n’y est pas prononcé. Le terme de génocide est ainsi utilisé pour définir les crimes de guerre dans la résolution de l’Organisation des Nations Unies de 1946, puis dans la « convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », texte adopté par l’O.N.U. le 9 décembre 1948 : le texte reprend pour l’essentiel la définition du Statut.
La résolution n° 96 (1) adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies lors de sa cinquante-cinquième séance plénière, le 11 décembre 1946, c’est-à-dire deux ans avant la convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, a confirmé que le génocide est un crime constant et permanent dans le droit international, que le monde civilisé condamne et pour lequel les auteurs principaux et leurs complices doivent être sanctionnés.
L’Assemblée générale des Nations Unies, a confirmé les principes de droit international reconnus par le Statut de la Cour de Nuremberg et par l’arrêt de cette Cour. De même qu’elle a invité la Commission chargée de la codification du droit international, créée par la résolution de l’Assemblée générale en 1946, à considérer comme une question d’importance capitale les projets visant à formuler, dans le cadre d’une codification générale des crimes commis contre la paix et la sécurité de l’humanité ou dans le cadre d’un Code de droit criminel international, les principes reconnus dans le Statut de la Cour de Nuremberg et dans l’arrêt de cette Cour.
Selon la résolution no 96 de 1946, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, le crime de génocide sera le refus du droit à l’existence à des groupes humains entiers, de même que l’homicide est le refus du droit à l’existence à un individu ; un tel refus bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité, qui se trouve ainsi privée des apports culturels ou autres de ces groupes, et est contraire à la loi morale ainsi qu’à l’esprit et aux fins des Nations Unies. Aussi, et selon la même résolution, des crimes de génocide ont été perpétré et ont entièrement ou partiellement détruit des groupements raciaux, religieux, politiques ou autres. La répression du crime de génocide est une affaire d’intérêt international.
Cependant, l’Assemblée générale, en conséquence, a affirmé que le génocide est un crime de droit des gens que le monde civilisé condamne, et pour lequel les auteurs principaux et leurs complices, qu’ils soient des hommes privés, des fonctionnaires ou des hommes d’État, doivent être punis, qu’ils agissent pour des raisons raciales, religieuses, politiques ou pour d’autres motifs.
L’Assemblée générale des Nations Unies a invité les États Membres à prendre les mesures législatives nécessaires pour prévenir et réprimer ce crime, de même qu’à organiser la collaboration internationale des États en vue de prendre rapidement des mesures préventives contre le crime de génocide et d’en faciliter la répression, et à cette fin, elle a chargé le Conseil économique et social d’entreprendre les mesures nécessaires en vue de rédiger un projet de Convention sur le crime de génocide, qui sera soumis à l’Assemblée générale lors de sa prochaine session ordinaire.
En faisant une petite analyse de ce qu’on vient de citer, on peut déduire que les éléments du crime de génocide se trouvaient à un moment antérieur à la Convention de 1948, et ce qui manquait, c’était la codification de ce crime au niveau du droit international positif.
Rodney Dakessian
Beyrouth le 06-Août-2014