PREFACE
L’ouvrage en référence à la thèse de Doctorat soutenue à l’Université de Lyon par Monsieur Rodney Dakessian présente un grand intérêt car il autorise au regard d’une donnée historique la formalisation d’une étude juridique de Droit International Public consacrée au massacre des arméniens.
Le travail est conséquent et d’actualité. Il permet d’appréhender durant un siècle l’évolution du Droit International et la création de nombreuses organisations. Le débat sur le génocide des arméniens ottomans demeure toujours récurrent en ce début de XXI° siècle, notamment en France avec la loi du 29 janvier 2001 et ses prolongements.
Le livre présente également une réflexion approfondie sur la réglementation conventionnelle des moyens et des méthodes de guerre ainsi que sur l’ensemble des crimes en résultant. De plus il propose une analyse des règlements non juridictionnels et leur possible efficacité en sachant que les considérations politiques dominent généralement les exigences du Droit.
En fin de compte un génocide est difficilement qualifiable pénalement et apparaît davantage comme un mal politique. Aussi l’auteur rappelle dans sa réflexion personnelle que le génocide arménien révèle l’impuissance du Droit et que seule une solution négociée pourra dénouer l’antagonisme toujours présent entre l’Arménie et la Turquie.
Je me félicite comme Directeur de Thèse du sérieux de cette analyse globale et de l’importance des différents fondements qui ont permis de conforter l’ensemble de la réflexion. Ce sujet présentait pour moi plus d’un intérêt car je connais bien l’espace géographique concerné où j’ai exercé des responsabilités universitaires ainsi que de nombreuses missions d’enseignement académique réalisées de part et d’autre du Mont Ararat. Par ailleurs, au-delà d’une connaissance émotionnelle liée à cet événement, une pertinente approche historique présentée dans ses Mémoires par Monseigneur Jean Naslian, Evêque de Trébizonde, m’a permis de me familiariser avec les événements politico-religieux au Proche Orient durant la période 1914-1928.
Aussi il m’est agréable de rappeler l’organisation du travail selon deux axes.
La première partie permet la mise en évidence de l’effectivité des crimes de génocide perpétrés contre les arméniens ottomans à partir du 24 avril 1915. Ceux-ci furent commis par l’empire Ottoman remplacé par l’Etat Turc en 1923 posant le problème quant à la responsabilité de l’Etat dans le cadre d’une succession. De plus l’Arménie fut créée comme Etat en 1918, incorporée à l’URSS en 1920 et ne devint réellement indépendante qu’en 1991. Outre les problèmes de responsabilité étatique il apparaît également que lors des massacres, le génocide comme élément de crime contre l’humanité, faisait partie du Droit coutumier et il manquait une procédure appropriée pour traiter ce genre de crime. En effet la notion de génocide n’est entrée dans le Droit conventionnel qu’en 1948 et partant on se heurte à une objection majeure qui est celle du respect du principe de la non rétroactivité des infractions pénales.
La deuxième partie a pour objet de cibler les différents mécanismes régulateurs entre les Etats. Les recours juridictionnels et les autres moyens de règlement sont envisagés pour constater que seule la négociation diplomatique ou l’intervention d’une tierce institution pourront débloquer la situation conflictuelle : médiation de la Suisse et signature du protocole de normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie à Zurich le 10 octobre 2009.
Partant, face aux difficultés soulevées par les aspects constitutifs de la responsabilité pénale, l’auteur suggère pour dénouer cette situation de faire appel à la responsabilité morale en vue d’un règlement politique du conflit.
Monsieur R.Dakessian met en perspective dans cet ouvrage l’ensemble de la problématique du génocide arménien. A travers son questionnement étayé par de nombreuses analyses et explications il a montré certes l’existence du génocide arménien mais son improbable reconnaissance par une instance juridictionnelle. Il formule alors une proposition duale : reconnaissance/rémission qui peut être considérée comme une approche positive permettant une nouvelle ouverture du dialogue entre les deux Etats.
C’est sur cette perspective d’avenir afin que les deux pays puissent « sortir de l’impasse » et « vivre enfin en paix » que je termine ces propos préliminaires en rappelant le plaisir qui fut le mien de travailler sur ce sujet avec Monsieur Dakessian à qui je renouvelle mes plus vives félicitations pour la pertinence de sa réflexion académique.
Professeur Emile-François CALLOT
Faculté de Droit. Université de Lyon. France
Premier Vice-Président Emérité de l’Université
Directeur Emérite des Relations Internationales de l’Université