Bien que l’histoire du génocide comme crime du droit international soit relativement récente, ce terme désigne des actions criminelles dont l’histoire passée et contemporaine est malheureusement jonchée. Les éléments du crime de génocide tels que repris par la Convention de 1948 ont été esquissés pour la première fois en 1933 par celui qui forgera le vocable quelques années plus tard.
La paternité du terme « génocide » revient à Raphaël Lemkin (professeur de droit américain d’origine polonaise), qui le premier l’utilisa pour designer, dans une étude de 1944 sur la politique des forces de l’Axe dans l’Europe occupée, une « nouvelle conception de la destruction des nations ». Le terme allait rapidement quitter le sein de la communauté scientifique pour s’imposer chez le grand public. Le « crime de génocide » était donc connu bien avant la Convention de 1948, ce qui montre de plus l’effet déclaratoire de cette Convention.
De nos jours, le mot génocide est employé de façon indiscriminée pour désigner les atrocités les plus graves mais aussi les plus diverses.
Dans l’univers juridique, c’est la Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide (ci-après « Convention sur le génocide » ou « Convention de 1948 ») qui a marqué, à la suite du procès de Nuremberg, la consécration du terme.
Le crime de « génocide » donc a été codifié pour la première fois au niveau du droit international, en 1948; mais selon la déclaration des Alliés du 24 mai 1915, ainsi que selon l’article 230 du traité de Sèvres et d’autres instruments, on peut déduire que la Convention de 1948 n’a qu’un effet déclaratoire pour un crime dont les éléments existaient au niveau du droit international coutumier à une période bien antérieure et donc par suite cette Convention n'a fait que codifié la règle de condamnation du crime de génocide, qui était d'ailleurs obligatoire selon les principes d'humanité et les usages établis entre nations civilisées.
Par suite, et selon ces mêmes instruments, on peut conclure que la responsabilité d'un État pour un crime contre l'humanité et spécifiquement pour un crime de génocide et les conséquences découlant de cette responsabilité, existaient en 1915, au moment de la perpétration des massacres.
La déclaration faite par les gouvernements de France, d'Angleterre et de Russie, le 24 mai 1915, impliquait la responsabilité de tous ceux qui auraient participé aux massacres des Arméniens. De même que le traité de Sèvres, signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l’Empire ottoman, reconnaissait la responsabilité des gouverneurs ottomans ainsi que la compétence du Tribunal qui sera éventuellement désigné par les Alliés.
D’ailleurs, l'article 6 du statut de la Cour de Nuremberg en 1945 s'est appuyé dans le contexte de la définition des crimes contre l'humanité dont faisait partie le crime de génocide, sur l'article 230 du traité de Sèvres.
On peut citer dans le même contexte, la résolution n° 96 (1) adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 11 décembre 1946 ; c’est-à-dire deux ans avant la convention de 1948; qui a confirmé que le génocide est un crime constant dans le droit international que le monde civilisé condamne et pour lequel les auteurs principaux et leurs complices doivent être punis.
Cette tendance est confirmée par une analyse des termes utilisés dans l'article premier de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 qui stipule que « les parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir ». De là, le caractère déclaratoire de la Convention de 1948.
Donc, l'expression "confirment" utilisée dans l’article premier de la Convention, montre que la Convention de 1948, a un effet déclaratoire pour un crime dont les éléments existaient au niveau du droit international coutumier à une période bien antérieure, et par suite cette Convention n'a fait que codifier la règle de condamnation du crime de génocide, qui était d'ailleurs obligatoire selon les principes d'humanité et les usages établis entre nations civilisées.
Il est important de noter que les parties contractantes ne « déclare » pas ou « proclame » une situation pour le futur, mais « reconnaissent » et « confirment » que le génocide est déjà un crime de droit international.
La nouveauté de la Convention sur le crime de génocide, résidait dans le fait qu’elle rendait l’obligation à la charge des parties de prendre toutes les mesures législatives nécessaires pour l’application effective de la Convention, de même que les parties s’engagent à prévoir des sanctions pénales efficaces à l’encontre de ceux qui violent les dispositions de la Convention (article V), ainsi qu’à poursuivre les personnes accusées de génocide, devant les tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction (article VI).
De plus, la Convention a créé un mécanisme préventif, en poussant les parties à saisir les organes compétents des Nations Unies, en vue de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer les actes de génocide (article VIII). Également, la Convention a conféré à la Cour internationale de justice tous les sujets reliés à son application et à la détermination de la responsabilité d’une partie pour un génocide (article IX).
Dans son avis consultatif de 1951, la Cour internationale de justice a considéré que « les principes qui sont à la base de la Convention sont reconnus par les nations civilisées comme engageant même en dehors de tout lien conventionnel, ce qui commande la plus grande universalité possible de la Convention »
Aussi dans ce sens, la Commission des droits de l’homme de l’O.N.U. a considéré en 1969 que la codification du crime de génocide par la Convention de 1948 n’a pas élargi ni restreint la notion de génocide, mais elle l’a juste définie d’une façon plus précise.
Bien que la Convention sur le génocide n’ait pas été universellement ratifiée, la prohibition du génocide doit être considérer de jus cogens. Cependant, 141 sur 192 États membres de l’Organisation des Nations Unies ont, jusqu’au décembre 2009, ratifié la Convention.
En outre, la Cour internationale de justice a élaboré dans l’affaire de la Barcelona Traction, qu’il y a des distinctions à être établies entre les obligations des États relevant vis-à-vis d’un autre État, et les obligations erga omnes, ou bien à l’encontre de la communauté internationale toute entière. La C.I.J. a déclaré que, par sa nature, l’incrimination du génocide, de l’agression, de l’esclavage et de la discrimination raciale, sont la préoccupation de tous les États. Vu l’importance des droits concernés, tous les États peuvent procurer d’un intérêt légal vis-à-vis de leur protection ; se sont des obligations erga omnes.
La Cour internationale de justice, qui a contribué au développement progressif du droit international public, en imposant une conception plus flexible et insistant sur l'importance de la coutume (pratique générale et opinio juris des États), considère que la coutume peut s'exprimer dans les conventions et traités internationaux par effet déclaratoire (la coutume préexiste à la Réserves à la convention), effet de cristallisation (règle en voie de formation) ou effet constitutif (une disposition conventionnelle devienne une coutume).
Ce qui nous concerne ici, c’est bien sûre l’effet déclaratoire des traités et des conventions. Et comme on a déjà mentionné, que les éléments du crime de génocide existaient au niveau du droit international coutumier, l’observation de la C.I.J. affirme cela et montre que les conventions peuvent parfois avoir un effet déclaratoire pour la coutume ; en d’autres termes, les conventions viennent souvent consacrer l’existence de la coutume, au niveau du droit positif.
Rodney Dakessian
Beyrouth le 16-janvier-2014