L'existence d'une responsabilité morale de l'État turc

La responsabilité de l’État turc ne peut être que morale ? Qu’entendre par responsabilité morale ? Cette responsabilité est celle qui n’entraîne aucune conséquence de droit (pas de sanction coercitive, pas de réparations pécuniaires). Une responsabilité est morale lorsqu’elle renvoie à la conscience, au sentiment propre de responsabilité ou de culpabilité. La responsabilité morale sollicite le for intérieur.


Ces remarques, qui valent pour un individu, sont transposables à un État. Dans cet ordre d’idée, l’État turc est moralement responsable du génocide commis envers les Arméniens. Quelle morale ? Celle qui dérive des lois de l’humanité, qui consiste à déclarer fautive l’extermination d’un peuple, qui réprime la conception, l’organisation et la réalisation de massacres et de déportations de masse en vue de faire disparaître une population. Ce n’est pas une morale chrétienne ou religieuse. C’est une morale laïque dérivant d’une certaine conception de l’humanité reposant sur le respect de la vie. Il y a certes de nombreux États qui se sont bâtis sur des guerres et des massacres. La naissance d’un pays ou d’une nation se fait le plus souvent dans la violence. Mais la Turquie a franchi un palier en se construisant sur la base d’une extermination méthodique des éléments non Turcs. C’est une faute au regard de la morale, en vertu des lois de l’humanité.

 

De même qu’il est impossible d’engager la responsabilité juridique de l’État turc, il n’est pas envisageable de le contraindre à verser des réparations et à opérer des restitutions. Des demandes de réparations ont été faites très tôt, dès avant la fin de la guerre. Après l’armistice, durant la conférence de la paix de Paris en 1919, la délégation arménienne a présenté une revendication portant sur l’indemnisation des préjudices subis. De telles demandes n’ont pas été suivies d’effet. Le traité de Sèvres, à son article 144, prévoyait des restitutions. Mais ce traité n’est jamais entré en vigueur remplacé qu’il a été par le traité de Lausanne ne prévoyant à l’inverse aucune restitution ni réparation. Aujourd’hui encore, d’aucuns appellent à des réparations, comme par exemple le partie Daschnak.

 

Certains partisans de la cause arménienne ou des membres de la communauté arménienne estiment que le génocide ne saurait être sans conséquences civiles. Des restitutions de terres sont demandées et des indemnisations faisant suite aux spoliations et confiscations sont exigées. De telles demandes sont pourtant vouées à l’échec. Il n’y aura jamais de jugement international « condamnant » la Turquie. Elle seule, de manière volontaire, pourrait décider unilatéralement de verser des indemnisations et d’opérer des restitutions. Une telle éventualité est, en l’état, totalement irréaliste.

 

Il est donc préférable de se conformer à la résolution du Parlement européen du 18 juin 1987 qui précise que « la reconnaissance de ces événements historiques en tant que génocide ne peut donner lieu à aucune revendication d’ordre politique, juridique ou matérielle à l’adresse de la Turquie d’aujourd’hui ». La reconnaissance du génocide est donc pensable seule indépendamment des réparations vu que l’État turc actuel est effectivement le successeur ou bien, plus précisément, le continuateur de l’Empire ottoman.

 

Rodney Dakessian

Beyrouth, 30-Aout-2013

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