Turquie et adhésion à l'Union européenne

Aujourd’hui, l’adhésion de la Turquie est la question la plus débattue dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne. À ce jour, des résistances freinent l’adhésion de la Turquie. Les obstacles sont, pour la plupart, institutionnels : on reproche à ce pays ses insuffisances démocratiques. Sont évoqués également la question chypriote et le sort réservé à la minorité kurde. Le génocide des Arméniens joue-t-il un rôle ? Peut-on imaginer que l’Union européenne affirme la conditionnalité de l’adhésion à la reconnaissance de ce génocide ? À vrai dire, la question de l’adhésion de la Turquie à l’UE est beaucoup plus large que le génocide des Arméniens. Le génocide tient finalement une place négligeable dans le cadre du processus d’adhésion de la Turquie.
C’est en décembre 1999 lors du Conseil européen d’Helsinki qu’a été formellement accordé à la Turquie le statut de candidat à l’adhésion. Une des conditions d’adhésion est, selon les « critères de Copenhague » établis en 1993 : « des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ». Cependant, rien n’est dit spécifiquement du génocide des Arméniens, dans les critères de Copenhague. Certains documents relatifs à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne l’évoquent néanmoins. C’est le Parlement européen qui se préoccupe de cette question. De manière progressive, cette assemblée a été amenée à affirmer la nécessite d’une reconnaissance du génocide par la Turquie comme condition d’entrée dans l’Union européenne.
Le rapport Oostlander du 19 mars 2004 abordait le génocide mais de manière elliptique. Il avouait, dans l’exposé des motifs, que « La question arménienne est une question très délicate qui intéresse beaucoup le Parlement européen.
Toutefois, compte tenu des sensibilités turques, la résolution n’insiste pas trop sur cette question ». Le rapport ajoutait ensuite que « étant donné que récemment les autorités imposant une approche très partiale (dans ses circulaires) de cette question dans les écoles, le Parlement européen se doit de lancer un avertissement. Pourquoi la Turquie gaspillerait-elle le soutien dont elle dispose actuellement au sein de l’U.E. ? ».
Finalement, le Parlement européen par une résolution du 1er avril 2004 adoptait la formulation proposée par le rapport Oostlander en souhaitant au paragraphe 47 du texte :
« L’établissement d’un dialogue entre universitaires, organismes sociaux et O.N.G. turcs et Arméniens afin de surmonter les tragiques expériences du passé qui ont fait l’objet de plusieurs résolutions du Parlement européen (résolutions des 18 juin 1987, 15 novembre 2000, 28 février 2002 et 26 février 2004) ».
Plus ambitieuse et plus courageuse était la résolution du Parlement européen sur les « Progrès réalisés par la Turquie sur la voie de l’adhésion » du 15 décembre 2004. Dans ses considérants 39, 40 et 41, la résolution :
« invite la Turquie à promouvoir le processus de réconciliation avec le peuple arménien en reconnaissant le génocide commis contre les Arméniens comme le demandaient les résolutions antérieures du Parlement européen concernant le statut de candidat de la Turquie (du 18 juin 1987 au 1er avril 2004) ; estime que les gouvernements turc et arménien doivent poursuivre leur processus de réconciliation, éventuellement avec l’assistance d’un comité bilatéral d’experts indépendants, afin de surmonter de manière explicite les expériences tragiques du passé, et demande au gouvernement turc de rouvrir le plus rapidement possible les frontières avec l’Arménie ; appelle la Commission et le Conseil à exiger des autorités turques la reconnaissance formelle de la réalité historique du génocide des Arméniens en 1915 et l’ouverture dans un délai rapide de la frontière entre la Turquie et l’Arménie, conformément aux résolutions adoptées par le Parlement européen de 1987 à 2004 ».
Un nouveau pas a été franchi par la résolution du Parlement européen du 28 septembre 2005 qui a appelé de manière on ne peut plus limpide la Turquie « à reconnaître le génocide des Arméniens » en considérant « cette reconnaissance comme un préalable à l’adhésion à l’Union européenne ». Dans cette résolution, le Parlement européen rappelle que le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est ouvert et ne débouchera pas avec certitude sur une décision d’adhésion. Parmi les conditions posées par le Parlement dans cette résolution, la reconnaissance du génocide des Arméniens par la Turquie est exprimée explicitement. C’est donc une résolution de première importance en ce qu’elle affirme la conditionnalité de l’adhésion à la reconnaissance du génocide.

Rodney Dakessian

Beyrouth, le 10 juillet 2013

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